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La cloche (1887) de la chapelle de Granois dédiée à la Sainte-Trinité

En avril 2019, nous avons consacré le 13e Cahier granoisien aux deux chapelles du village de Granois :
– l’ancienne chapelle au lieu-dit Moté, près de la maison d’école, construite en 1669 et démolie en 1975,
– la nouvelle chapelle à la Crouja (la Creuse), bénie en 1973.

Dans ce 13e Cahier granoisien (60 pages), découvrez l’histoire des deux chapelles, le retable du Couronnement de la Vierge, la chapelle peinte par Ernest Biéler, la cloche datant de 1887, le mobilier de la chapelle, etc. Peut être commandé auprès de la FBH au prix de CHF 10.–

Deux chapelles, une cloche

par Anne-Gabrielle et Nicola-V. Bretz-Héritier

La cloche de l’ancienne chapelle a été démontée par l’entreprise spécialisée Jean Ecoffey de Broc (FR). Avant d’être transférée dans le clocher de la nouvelle chapelle, elle a été équipée d’un joug métallique avec axe de pivotement sur roulements à billes et d’un battant en fer forgé sur billes, ainsi que d’un appareil de tintement (un marteau qui frappe la cloche à l’extérieur).
La corde de l’ancienne chapelle a fait place à une installation électrique activée depuis la petite sacristie. Désormais, la sonnerie à la volée appelle les villageois pour la messe hebdomadaire. La sonnerie de l’Angélus à l’ancienne chapelle a été abolie en 1967.
Dans le parchemin réalisé par Fernand Luyet lors de la bénédiction de la nouvelle chapelle le 30 septembre 1973, il est fait mention de la première marraine de la cloche, Jeanne Reynard. En 1973, la cloche a reçu de nouveaux parrain et marraine, Edmond Héritier (1920-1978), allié Rose Solliard, et Honorée Héritier-Héritier (1926-2009), épouse de Basile, personnalités de Granois.

Les inscriptions sur la cloche

Mais que sait-on de la cloche elle-même ? Date-t-elle de 1669 comme l’ancienne chapelle ? Porte-t-elle des inscriptions ? Pour le savoir, il n’y avait pas trente-six solutions, il fallait grimper dans le clocher de la chapelle de La Creuse. Muni d’une échelle double, sous la surveillance du marguillier Joseph, c’est Nicola qui s’est acquitté de la tâche, muni de son appareil-photo. Vu le manque d’espace autour de la cloche, la mission s’est avérée un peu compliquée, mais riche en découvertes. Nous espérions une ou deux informations et nos anciens nous ont gâtés en commandant une petite cloche fort bien décorée et référencée, même s’il subsiste à ce jour encore quelques énigmes.

Le message

La cloche granoisienne ne porte pas de prénom, mais, en lettres romaines majuscules, le beau message qu’elle annonce : « TU ME SONNES UN COUP, ET J’HONORE LA TRINITE. »
Le message s’étire sur le pourtour supérieur de la cloche. Pas de difficulté à le lire puisqu’il est rédigé en français et non en latin comme il est souvent coutume. Cette dédicace indique bien que la cloche a été coulée à l’intention de la chapelle de la Sainte-Trinité et qu’elle n’a pas, par exemple, transité par un autre sanctuaire de la paroisse. La cloche granoisienne pourrait se prénommer « Trinité » ou « Trinitas » comme la dernière arrivée au carillon de l’abbaye de Saint-Maurice en 2012.

La marraine

Comme une personne, la cloche est accompagnée le jour de son baptême d’un parrain et d’une marraine. Sur la robe de la cloche, on découvre des initiales en lettres capitales, suivies d’un point, et les abréviations Prr. B. R. C. A. et Mrne. Jne. R., ainsi que la date 1887.
Le nom de la marraine nous est déjà connu : Jeanne Reynard ce qui correspond à Jne. R.. Malgré ces informations, la marraine n’a pas pu être identifiée plus précisément.
Un entrefilet paru dans le Bulletin paroissial de Savièse, en mai 1929, a attiré notre attention. Il y est fait mention du décès de Jeanne Reynard, à Chandolin, généreuse bienfaitrice qui a donné 3800 francs pour les bonnes œuvres paroissiales, somme remarquable pour cette époque. Jeanne, née en 1861, était institutrice depuis 1883. Il ne s’agit peut-être que d’une homonyme de la marraine, âgée de 26 ans en 1887, qu’on aurait plutôt pensé granoisienne.

Le parrain

Le décodage est plus complexe pour le parrain si tel est le sens de l’abréviation Prr. Une annotation Prn. par similitude à Mrne. nous aurait confortés dans l’idée qu’il s’agit bien de l’abréviation pour parrain. Prr pourrait signifier Procureur (de la chapelle par ex.). Les majuscules B. R. C. A., régulièrement espacées, indiquent-elles un nom, un prénom, une fonction ? Si tel est le cas, la population granoisienne n’avait-elle plus le souvenir du nom de cette personne en 1973 lorsque Fernand Luyet réalise le parchemin en souvenir de la bénédiction de la nouvelle chapelle ? Le régent Fernand a-t-il rencontré la même difficulté que nous à décrypter ces initiales, s’il les a observées au moment du transfert de la cloche en 1973 ?
Ce décodage nous rappelle celui que nous avons mené pour comprendre l’inscription C.I.A.H. 1844 observée sur la flèche de l’esponton du capétan de Granois (1). Revenons au parrain/procureur identifié par B. R. C. A. La variante à trois prénoms et le nom de famille (ou l’inverse le nom et les prénoms) nous semble peu probable.
Par analogie à l’inscription de la marraine, on imagine volontiers que B. est le prénom et R. le patronyme. Grâce au dépouillement des inscriptions des registres de la paroisse de Savièse, on sait que les prénoms masculins possibles à la fin du XIXe siècle sont Balthasar, Baptiste et Barthélemy ; le R. serait l’initiale de Reynard ou Roten, deux familles présentes à Granois. Le parrain est vraisemblablement une personnalité granoisienne qui remplit une fonction importante, par exemple Conseiller communal, banneret ou Capétan du village, Châtelain (juge de commune), Procureur ou encore qui exerce un métier particulier. Il pourrait être Curé, Chanoine ou Capucin…
Tout autant d’hypothèses de travail !
La liste des bannerets et capétans (2) nous étant connue, un nom retient l’attention : Baptiste Reynard (1807-1888), ancien Conseiller, ancien Capétan et banneret de Granois probablement en fonction puisqu’il s’agissait d’une charge à vie. Il pourrait être parrain/procureur. Pour la petite histoire, la mère de Baptiste était prénommée Jeanne Reynard née Héritier (1773-1833) – homonyme de la marraine ; un de ses fils, Jean-Baptiste (1835-1861), était curé de Port-Valais.
Dans cette démonstration, il y a beaucoup de suppositions et le A. demeure énigmatique. La liste des députés et des autorités (3) saviésannes a également été consultée sans qu’un élément probant ne soit mis à jour. Appel à nos lecteurs : toute suggestion et toute piste à explorer sont les bienvenues !

La date

1887, voilà une date postérieure de plus de deux siècles à celle de la construction de la chapelle. On ne sait pas pourquoi la cloche a été remplacée, ni ce qu’il est advenu de la précédente.

Le fondeur

La panse (pourtour inférieur de la cloche) présente l’information suivante : « FONDUE PAR J. KELLER A ZURIC. »
Selon le Dictionnaire historique de la Suisse, Jakob Heinrich Keller (1827-1894) est le fils de Jakob Keller (1793-1867) qui ouvrit son entreprise à Unterstrass (ZH) en 1825. Celle-ci resta en activité jusqu’en 1894 et fut reprise par Hermann Rüetschi jusqu’en 1915, puis par la Fonderie Rüetschi Aarau AG. On ne connaît pas la raison qui a poussé les Granoisiens de 1887 à s’adresser à une fonderie au nord-est de la Suisse. D’après l’ouvrage « Les carillons du Valais » (4), deux dynasties de fondeurs se partageaient le marché valaisan à la fin du XIXe siècle : la fonderie Walpen à Reckingen (Conches) et Dreffet, puis Tréboux à Corsier s/Vevey qui ont équipé de nombreux clochers valaisans. Les cloches de la Fonderie Rüetschi d’Aarau apparaissent en Valais au début du XXe siècle. Les trois cloches de Savièse – Germaine, Marie et Rose – ont été coulées par cette entreprise en 1977.

La note et le poids

La cloche de Granois mesure 46 cm de diamètre à la base pour une hauteur à l’axe de 40 cm (53 avec les anses). Véronique Dubuis a déterminé à l’audition que la note principale de la cloche est le La (fréquence habituelle 440 hertz). 
Selon l’ouvrage « Les carillons du Valais » (4), le fondeur dispose de tableaux mettant en relation le poids de la masse de bronze, le diamètre de la cloche et la note. Par exemple, pour La3 normal (à l’unisson du diapason), une cloche dont le diamètre à la base est de 45 cm pèse 55 kilos, ce qui correspondrait à la cloche de Granois. Le bronze campanaire est constitué généralement de 78% de cuivre et 22% d’étain.

L’ornementation

La cloche est ornée de quatre représentations, dans l’ordre,
– la Vierge couronnée à l’Enfant,
saint Pierre reconnaissable à une de ses clés et au coq derrière lui,
– le Christ en croix entouré de quatre têtes d’angelots ; au pied de la croix, crâne et tibias d’Adam, et peut-être les flèches des lances,
– puis saint Théodule, premier évêque du Valais, représenté avec sa crosse et l’épée de la Régalie, signe de son pouvoir temporel ; à gauche, à ses pieds, le diable et la cloche.
Le haut de la cloche est parcouru par une frise de style gothique (des arcs), le bas par une décoration végétale.

Ce fut un joli moment d’émotion de prendre connaissance des inscriptions et des décorations de la cloche de Granois. Nos efforts pour identifier le parrain et la marraine n’ont, pour l’instant, pas été couronnés de succès. Grâce à vous, lecteurs, la découverte d’un nouvel élément n’est pas impossible : les archives familiales (actes, lettres, factures, etc.) recèlent parfois la clé des énigmes.

Notes

(1) « Fête-Dieu à Savièse », Editions de la Chervignine, 2008, pp. 383-386. Grâce à la généalogie de la famille surnommée fou dé Capétan, il a été relativement simple d’identifier le Capétan de Granois en 1844, Joseph Adrien Héritier (1802-1861), le J étant gravé I par commodité.
(2) « Fête-Dieu à Savièse », Editions de la Chervignine, 2008, pp. 173-174.
(3) Députés, autorités, curés, dans « Savièse », Commune, 2e édition, 1993, pp. 78-82.
(4) « Les carillons du Valais », Marc Vernet, Société suisse des traditions populaires, volume 45, Bâle, 1965, pp. 29-32.

Plus d’infos sur la chapelle de Granois sur le site de la Paroisse de Savièse