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S’il est un nom bien doux, fait pour la poésie, O dites, n’est-ce pas Savièze ! Anastasie ?
Oui Savièze comme la Voulzie d’Hégésippe Moreau (ndlr écrivain français né en 1810, décédé en 1838), l’immortel chantre du Cantal, est doux comme la verdure de ses coteaux riants et parfumés, doux comme l’ombre de ses bosquets silencieux, doux comme le gazouillis berceur de ses ruisseaux limpides à l’imprégnante fraîcheur, dont les ombres écumeuses murmurent comme des voix de nymphes sous les herbes fleuries de ses prairies luxuriantes et nombreuses. Heureux Savièze ! Nid douillet d’artistes en veine de croquis, terre adorée des paysagistes à l’aquarelle, Eden des peintres des scènes champêtres et idylliques, dont les toiles font les délices des blasés de l’asphalte parisien et des enthousiastes de la nature alpestre, Savièze, le plus délicieux des recoins bucoliques valaisans, est-il à la veille d’un avenir qui, sans ne lui rien enlever de sa grâce pittoresque ni de son cachet villageois, lui donnera dans le monde des rêveurs assoiffés de paix et d’idéal, des repus de la vie et des chercheurs de sites ou de retraites profondes et méditatives, un nom qui deviendra célèbre, d’une célébrité saine, robuste et de bon aloi.

Pour beaucoup cette nouvelle paraîtra énigmatique et suspecte. Comment, se demandera-t-on, Savièze, l’humble patrie du Muscat, pourrait-il devenir célèbre ! Rien cependant n’est plus possible et plus vraisemblable, sinon absolument vrai. Voici comment :

Je me suis laissé dire qu’un consortium genevois (Genève a la spécialité de ce genre de lancement d’affaires), mettait en ce moment à l’étude un projet de construction de Chalets d’été pour pensions et familles à Savièze même et dans les mayens qui dominent ce village, conjointement avec la création d’un Hôtel-Casino occupant le centre de cette nouvelle station d’étrangers.

Pour qui connaît ce petit paradis terrestre, ses ravissants coteaux, ses vallons veloutés, ses ombrages frais, ses hautes roches et ses grands bois, il n’y a certes rien d’étonnant à ce que ce coin privilégié de la terre valaisanne ait attiré l’attention des chercheurs de bonnes affaires.

En effet peu de contrées présentent un assemblage de sites plus riants et offrent de plus admirables points de vue.

Des hauteurs de St Germain et de la Crêtaz, on aperçoit dominant de sa flèche aiguë et immaculée toute la mouvementée mer des glaciers, le superbe Cervin, ce géant alpin qui fait la gloire de Zermatt et la renommée du Valais, d’un bout du monde à l’autre. Et des Aiguilles d’Argentières aux confins de la Bella-Tola, du Mont-Fort à la Dent-Blanche, c’est le fantastique éblouissement de toutes les grandes cimes altières de notre riche flottille glacière, figée dans un océan de cristal dont les vagues monstrueuses vont mourir, pétrifiées et muettes au seuil des alpes verdoyantes, à la frontière admirable où les edelweiss et les rhododendrons marient leurs riches couleurs, symbolisant le pavillon valaisan. Le blanc et le rouge sont les emblèmes de la pureté et de la force.

Fier peut être le pays qui les porte dans ses étendards.

Au premier plan, la ravissante colline des Mayens de Sion. Les Sédunois ont là un petit bijou de montagne que la Nature s’est plue à rendre belle jusqu’à la splendeur. Les deux vallons qui l’enlacent du levant au couchant se détachent harmonieusement du tableau dont la vue subjugue l’œil et le rive à des beautés attachantes où le cœur et l’âme se réconfortent dans un délicieux extase.

Ajoutez à ce grandiose décorum les gentils petits chalets brunis, les sonnailles argentines des troupeaux joyeux, le parfum grisant des gros pâturages, l’air pur de l’Alpe, un ciel d’une ineffable douceur, des soirées de contes-bleus, toute l’incomparable saveur de la vie pastorale rehaussée de l’hygiène et du confort modernes et vous comprendrez que l’idée de créer à Savièze des pensions et un Casino d’été n’a rien que de très vraisemblable et même de très naturel.

Savièze station estivale est appelé à une vogue certaine ; le Sanetsch-pass est la voie toute tracée pour y mener les touristes de l’Oberland. Une ère nouvelle va donc bientôt s’ouvrir pour la terre classique des Raclettes et du Muscat. Braves Saviézans, réjouissez-vous, la fortune daigne vous sourire, et vous gentilles Saviézanes aux dents de nacre et aux lèvres de corail, ne vous laissez point éblouir par le « chic » des belles étrangères, mais demeurez toujours accortes « Perettes » de la montagne, en cotillons simples et souliers plats, car le rose vif de vos joues et la grâce pittoresque de votre costume ne seront pas les moindres attraits du futur « Savièze-Station ». Jean-Jacques, Chronique sédunoise, Journal et Feuille d’Avis du Valais, 28 mai 1904.