La cloche (1838) de la chapelle d’Ormône
La chapelle d’Ormône date de 1662. Elle est dédiée aux Rois mages fêtés le 6 janvier. En novembre 2020, le toit de la chapelle a été refait. Profitant des échafaudages, nous avons réalisé quelques photos de la cloche qui porte l’inscription « FAITE PAR TREBOUX FILS FONDEUR A VEVEY 1838 » et l’effigie des trois Rois Mages en pied. Dans un registre archivé à la paroisse de Savièse, on apprend que son parrain est François Dubuis, ancien président du dizain, membre de la Diète cantonale, juge au Tribunal suprême et châtelain de Savièse, et la marraine est Jeanne-Agnès Jacquier, fille du vice-châtelain Germain Joseph Jacquier v. P., épouse du banneret d’Ormône et Roumaz, François-Joseph Varone (1796-1851).
Conte de Noël pour le concours organisé par le Nouvelliste en décembre 2020
Les trois Rois
Cloîtrée à la maison, elle se décida à trier ses affaires. Ce qu’elle découvrit la laissa sans voix. Depuis l’avènement du numérique, le nombre de ses photographies avait pris l’ascenseur. Il y avait bien de multiples dossiers avec dates et thèmes de prise de vue, mais il fallait une bonne mémoire pour se souvenir des détails. Tiens, en tapant « cloche » dans sa base de données, quelle ne fut pas sa surprise d’exhumer de belles images de ces vénérables dames des chapelles villageoises de Savièse ! L’ingéniosité dont il avait fallu faire preuve pour leur tirer le portrait lui provoqua quelques frissons. Grimper sur les toits n’était pas sa tasse de thé, ses aventures patrimoniales l’entraînaient plus sûrement au fond des archives.
À l’époque de l’enquête photographique, elle avait méticuleusement relevé les inscriptions campanaires dans son petit carnet, esquissé les médaillons et les saintes représentations, tenté quelques hypothèses d’interprétation. Parrain et marraine pour l’une, respectable année 1663 pour l’autre, écu du fondeur et magnifique verset d’un psaume sur la troisième ou encore, en capitales, « Tu me sonnes un coup et j’honore la Trinité », message évocateur de son chant… Faute de temps, l’étude en était restée à l’état embryonnaire. Le confinement lui offrirait peut-être l’occasion d’approfondir les richesses d’un patrimoine paroissial tombé dans l’oubli.
Encore fallait-il dénicher une machine à remonter le temps ou une baguette magique ! Elle se projeta dans les siècles passés, laissa vagabonder son imagination à la rencontre des anciens qui avaient construit et entretenu chapelles et clochers. Une cloche villageoise sonnait… c’était un signal décrypté de tous : messe matinale, temps de joie pour les vivants, annonce d’une fin terrestre, tocsin et précipitation pour sauver ce qui pouvait l’être. Haut perchée dans son clocher, mue par le marguillier qui tirait la corde, elle rythmait quotidiennement la vie : l’angélus tintait matin, midi et soir.
Tandis qu’elle poursuivait machinalement le classement de documents amassés sur le sujet, elle fut intriguée par un feuillet sommairement agrafé. Sur cinq pages jaunies étaient inventoriés parchemins, papiers et registres appartenant à la paroisse. Aux empattements de certains caractères, on devinait l’effort de l’archiviste frappant les lettres sur sa machine à écrire, soixante ans auparavant. Soudain, elle écarquilla les yeux, un instant incrédule. Une petite note stipulait qu’un villageois d’Ormône avait laissé des informations sur une cloche dans un des registres.
Et si la notice était exagérée ? L’écriture illisible ? Pire, le registre introuvable ! Il n’y avait qu’un moyen pour faire taire les questions qui l’envahissaient, se rendre à la cure. Ni une, ni deux, cela devenait pressant de mettre la main sur ce vieux livre. Au téléphone, Monsieur le curé confirma que le manuscrit inventorié était dûment conservé et à disposition.
« Mémoire à qui le présent peut ou pourra intéresser… » Émue, elle lut ces mots du préambule écrit voilà 182 ans ! Elle avait donc rendez-vous avec le banneret de la Société du Privilège d’Ormône. Elle dévora fébrilement les lignes calligraphiées par le chroniqueur qui avait la ferme volonté de laisser une trace d’un événement hors du commun. Elle s’immergea avec délectation dans ce temps ancien qui s’offrait à elle. Décembre 1837, la cloche de la chapelle des trois Rois, pesant 126 livres et demie, se fendit ! Diable ! Conduite à Vevey chez Maître Treboux, elle fut refondue et la nouvelle revint au village en grande pompe en juin 1838, la robe d’airain décorée par les portraits en pied des Rois mages. Le jour de son baptême, en la fête de l’Assomption, la foule se pressa autour de Monseigneur l’évêque. Comme la belle chanterait pour tous, chaque feu paya son écot.
Elle referma le manuscrit, songeuse. Le 6 janvier de l’an 2010, la cloche des trois Rois avait annoncé joyeusement l’anniversaire d’un villageois centenaire. « Encore d’heureux tintements en perspective ! » souhaita-t-elle. Chaque enquête patrimoniale n’était pas toujours guidée par une bonne étoile. Il fallait bien souvent et patiemment remettre l’ouvrage sur le métier. Dans un clin d’œil, elle remercia Gaspard, Melchior et Balthazar de ce présent, sûre qu’ils avaient intercédé pour que la magie de la transmission opère. Elle se promit de partager sa découverte pour enrichir l’histoire locale, tant il est vrai que l’on apprécie mieux à sa juste valeur ce que l’on connaît.
Anne-Gabrielle Bretz-Héritier
8 décembre 2020
Le conte gagnant de Catherine Zufferey est à découvir sur le site du Nouvelliste. Le concours a réuni 160 participants.